LA HAINE : "Jusqu'ici rien a changé"

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SHOGUN

10/24/2024

LA HAINE :

"Jusqu'ici rien a changé"

Ecrit par SHOGUN

Cela peut, effectivement, paraître étrange de commencer de cette manière, mais je n’ai pas été entièrement convaincu par le spectacle la Haine. Avant d’aller plus loin, remettons un peu de contexte à mon analyse. 

À l’origine, La Haine est un film de Mathieu Kassovitz sorti le 31 mai 1995. Le film suit trois jeunes de la cité des Muguets à Chanteloup-les-Vignes, en région parisienne, au lendemain d’une émeute ayant opposé les jeunes du quartier aux policiers. Lors de cette escalade de violence, un jeune nommé Abdel Ichaha a été victime d’une tentative d’assissanat par un policier dans un commissariat lors d’une garde à vue. Abdel se retrouve dans le coma et son histoire engendre un climat de tension, de colère voire de haine parmi les jeunes de la cité à l’encontre des policiers.

Les trois protagonistes Vinz, Saïd et Hubert sont les prismes à travers lesquels nous observons une jeunesse sombrer dans la violence par désespoir lié à un sentiment d’abandon des pouvoirs publics et plus généralement de la société.

Ce film, acclamé par la critique, revient sous la forme d’une comédie musicale, avec ce triste constat : Jusqu’ici rien n’a changé”.

"Je suis mitigé"

Une histoire intemporelle : jusqu’ici, rien n’a changé":

L’histoire du spectacle reprend les grandes lignes du film. Toutefois, c’est précisément le scénario de la comédie musicale que j’ai trouvé le plus déroutant. En effet, ils ont choisi de situer l’histoire à notre époque mais sans faire évoluer les personnages. Cela donne à l’attitude et au flow des protagonistes un aspect anachronique. À plusieurs reprises, j’ai eu du mal à situer l’époque dans laquelle évoluent Vinz, Saïd et Hubert. Ils sont censés incarner une jeunesse dans la vingtaine des années 2020 mais ils dégagent une aura plus proche de Rim’k des années 90 que d’un rappeur comme SDM.

Les dialogues reprennent parfois des échanges du film, conservant la même énergie, si bien que l’on a l’impression de suivre une jeunesse des années 90. Là où le film apportait une bouffée d’air frais pour son époque, l’histoire de la comédie musicale semble quant à elle réchauffée, voire datée. Pour moi, il fallait faire un choix clair : rester en 1995 ou être en 2024 avec des personnages représentatifs de la jeunesse actuelle, celle qui s’est révoltée contre l’homicide du jeune Nahel Merzouk et qui manifeste aux côtés d’Assa Traoré en scandant “Justice pour Adama”.

La musique et la culture hip-hop à l’honneur :

La majorité de la musique utilisée dans la pièce est influencée par le hip-hop avec du DJ-ing, du scratch et du rap. On ressent la touche de Cut Killer et de Proof dans les productions choisies. La musique reflète bien la couleur générale de la pièce. Il y a, d’ailleurs, une sublime reprise de “Le Chant des Partisans” qui plonge le spectateur dans l’intensité de la scène de rébellion.

Toutefois, dans une comédie musicale, la musique ne doit pas être simplement décorative. Elle doit pouvoir exister par elle-même, en dehors des planches du théâtre. La musique doit être suffisamment marquante pour que le public ait envie de l’écouter après le spectacle. Malheureusement, je n’ai pas eu l’impression que le public, en sortant du théâtre, se soit rué sur les plateformes de streaming pour réécouter les morceaux de la pièce. Je pense que la musique était de qualité, mais manquait de modernité pour vraiment toucher le public actuel.Les textes sont poignants, mais certaines productions auraient pu être plus rafraîchissantes.

Entre Paris et sa banlieue : un voyage visuel

C’est tout simplement le point fort du spectacle. Je n’étais plus à La Seine Musicale, à Boulogne, mais bien dans une banlieue parisienne grisâtre, à l’ambiance morose. L’équipe technique a brillamment utilisé des écrans LED et une scène circulaire mouvante pour nous faire suivre les trois protagonistes à travers la ville. Des décors amovibles apportaient plus de corps à la scène et accentuaient l’effet des espaces clos. Les jeux de lumière renforçaient le propos de l'histoire ajoutaient une dimension supplémentaire à la narration. C’est une réussite totale. BRAVO !

Concernant les costumes, le choix a été de rester fidèle à l'œuvre originale, ce qui, comme mentionné plus tôt, contribue malheureusement à l’anachronisme dans le style vestimentaire.

Une chorégraphie captivante

Je tiens à féliciter les chorégraphes Emilie Capel et Yaman Okur pour la scène d’ouverture du deuxième acte. Chaque scène dans laquelle l’intégralité des danseurs est utilisée est une véritable masterclasse en matière de contribution scénique à la musique. C’est puissant et grandiose. La gestion de l’espace est parfaite, avec une belle mise en valeur de Breakdance et du Krump.

Cependant, je suis resté sur ma faim lors de certaines chansons où il n'y avait qu'un seul danseur sur scène pour accompagner le solo d’un rappeur. C’est dommage de ne pas avoir intégré plus de danseurs dans certaines scènes. Notamment, lors de la musique du grand frère d’Abdel Ichaha, où il rappe sa peine et son sentiment d’impuissant face au coma de son frère. J’ajouterais une mention spéciale pour l’utilisation des décors comme instrument chorégraphique lors de la scène entre Vinz et sa petite amie. On plonge progressivement dans l’esprit de cette dernière au fur et à mesure que le décor numérique se transforme, et c'était tout simplement brillant.

Pour conclure, je reste mitigé sur La Haine : Jusqu’ici tout va bien. L’idée et le propos sont pertinents, mais l’exécution m’a laissé sur ma faim. L’anachronisme m’a parfois fait décrocher du spectacle, tandis que les scènes de danse, au contraire, m’y ont pleinement replongée. Malgré ces réserves, c’est un bon divertissement que je vous recommande d’aller voir. Le spectacle est encore disponible à la Seine Musicale à Boulogne jusqu’au 1 Décembre 2024.

Photographie de ANTHONY GHNASSIA

La comédie musicale reprend le scénario du film, mais le transpose dans un contexte actuel. Nous ne sommes plus en 1995, mais bien en 2024, la décennie de l’intelligence artificielle et d’Aya Nakamura chantant avec la Garde républicaine.

Le synopsis et la direction artistique hip-hop de la pièce avaient tout pour me plaire. Pourtant, je n’ai pas réussi à adhérer complètement au projet. Pour mieux expliquer mon point de vue, je rappelle qu’une comédie musicale doit suivre 4 axes fondamentaux : L’histoire / La musique / La mise en scène et la chorégraphie / Les décors, lumières et costumes.

Photographie de ANTHONY GHNASSIA